Des Syriens d’abord…

Mandatory Credit: Photo by PuzzlePix/REX Shutterstock (4953962u) Migrants wash clothes at the camp 'New Jungle' in Calais, northern France Migrant Crisis, Calais, France - 12 Aug 2015 More than 3000 migrants waiting to leave for Great Britain currently live at the camp. /Rex_Migrant_Crisis_Calais_France_12_Aug_20_4953962U//1508131246

Ces jours-ci, les exilés défilent devant nos portes codées par sécurité. Hommes, femmes et enfants arrivent des lointaines contrées, riches de leur rien. Mais ils sont accueillis diversement selon qu’ils fuient l’écho terrorisant de balles, la menace de la soif et de la famine. Le point par Cikuru Batumike.

Ils filent du Sud vers le Nord, en quête des lieux sûrs et prometteurs. Ils se font violence en bravant l’implacable indifférence de la météo à leur sort.

Mauvais et bon lieu de vie

Ils se déplacent, bien malgré eux, de la levée au coucher du soleil, de jour comme de nuit. Les plus exposés marchent dans le sable désertique du Sahara avec, en toile de fond, des imprévisibles vautours au rendez-vous. Ils pressent les pas vers une Europe forteresse, tournant le dos au carnage né d’un conflit ethnique, d’une guerre, du chaos géopolitique ou de la non-gouvernance de leurs pays. D’aucuns ont enjambé des clôtures en fils barbelés, armes de dissuasion érigées par leurs dictateurs de présidents. En certains endroits, ces fugitifs l’ont échappé bel. Avant qu’un mur hongrois de grillages haut de quatre mètres et long de 175 kilomètres ne voit le jour à sa frontière avec la Serbie. En d’autres lieux, ils  embrassent la mer méditerranée depuis des canots de fortune des passeurs sans scrupule. Rescapés de noyade, des survivants posent les pieds sur la terre de leurs rêves. Debout sur le fil de rasoir, les exilés sont en équilibre sur un câble, qu’un funambule aurait du mal à tenir. Contraints au gout du risque, sans élever la voix, avec des visages accusant l’épuisement et un moral à l’épreuve de la lassitude, ils n’ont de mots que ceux qui quémandent l’empathie. Comment passer une barrière qui délimite et encercle l’espace d’autres visages, les semblables par la couleur du sang ? Comment passer du « mauvais » au « bon » lieu de vie ? Quitter son pays n’est pas un long fleuve tranquille. Sans papiers, il faut user de subterfuges ou s’inventer des histoires cousues de fil blanc pour rendre son parcours vraisemblable et espérer se sortir des mailles du filet. Hélas ! La terre d’exil tient sur une corde raide. Ce n’est ni une île d’accueil sans conditions, ni une ville de solidarité ou de générosité absolue. Elle est habitée par une frange de privilégiés capables du pire comme du meilleur. Prêts à tirer les plus chanceux du néant ou à mener la vie dure aux indésirables.

Réfugiés et échelle de souffrance 

En effet, il y a réfugiés et réfugiés. Ceux qui bénéficient de la magnanimité des pouvoirs publics et des populations autochtones et ceux qui sont pointés du doigt parce qu’ils sont indésirables. D’un côté les Syriens perçus comme des réfugiés (de la guerre) qui doivent être couverts de toutes les sollicitudes dues au rang des personnes persécutées et de l’autre des Africains perçus comme des migrants (de la faim) qui n’ont pas des raisons sérieuses de venir. Début septembre, des Syriens sont accueillis chaleureusement dans certaines villes allemandes (à Hambourg, au nord de l’Allemagne, sur fond d’une fête sur la place Karolinenplatz) quand ils ne font pas l’objet d’une campagne « Refugees welcome » pour contrecarrer la montée du discours xénophobe (dans plusieurs stades de football, les supporteurs ont brandi le message « Refugees welcome » durant la troisième journée du championnat allemand). Le sort des réfugiés a d’ailleurs déclenché une vague de solidarité sans précédent. Ils ont reçu des biens de première nécessité : habits, nourriture, eau et couches et autres offres d’assistance ; ils ont été dirigés dans des centres de premier accueil, installés dans des bâtiments publics, des hôtels et des casernes où les conditions de vie sont acceptables. Des Noirs africains, majoritairement originaires d’Ethiopie, du Soudan et d’Erythrée (pays en guerre depuis des décennies) vivent, eux, dans ce qu’on appelle la « New jungle » à Calais dans l’espoir d’obtenir l’asile en France ou de passer en Grande-Bretagne, pays de leur choix. Devant la fermeté de ce dernier qui renforce, chaque jour, les mesures destinées à empêcher les réfugiés d’accéder à son territoire par la traversée du tunnel sous la Manche, plus de 3.000 migrants restent déterminés. En attendant, ils s’entassent, depuis plusieurs mois, dans une ancienne décharge sauvage, sur un terrain municipal de Calais. Dans des tentes de fortune dressées près de l’usine Tioxide, et auxquelles se succèdent des petites maisons, construites avec des palettes, des bâches résistantes et des câbles ramassées par-ci par-là. Les bidonvilles créés à la sauvette sont saturés. Des conditions d’hygiène et de vie y sont pourries. Quelques douches, des points d’eau et toilettes, des abris et cuisines collectives y ont été installés par Médecins du Monde, Solidarités internationales, le Secours catholique et le Secours islamique, des ONG préoccupées par cette situation. Qui ne laisse pas indifférents des collectifs tels le Réveil Voyageur, Salam, Passeurs d’hospitalités, le Secours Catholique, Solid’r, l’Auberge des Migrants. Tous ensembles, ils prennent le relais des pouvoirs publics et tentent, à leurs niveaux et avec peu de moyens matériels et humains, de venir en aide aux réfugiés. Les conditions de vie se détériorent chaque jour à Calais, en raison de la surpopulation du camp. L’hiver arrive. Il ne va pas du tout faciliter leur travail. En dépit de cette mauvaise passe, les migrants s’organisent tant bien que mal pour qu’un semblant de vie les entoure. Epiceries, galeries d’art, école de fortune, église orthodoxe, mosquée, ruelles avec des quartiers voire des cliniques mobiles pour des consultations de médecine générale y ont vu le jour. Certes, ces structures donnent aux lieux l’atmosphère de vie d’une cité. Mais ce ne sont que des conditions d’existence que d’aucuns souhaitent provisoires. Les humanitaires attendent que les politiques soient à la hauteur de leur responsabilité. Et sortent de cette logique de campement pour une logique d’intégration dans la vie réelle. Ce qui permettra aux réfugiés de mener une vie digne basée sur la protection, même temporaire.

La guerre tue, la famine aussi

Or donc, au lieu d’appréhender la souffrance des uns et des autres, de comprendre leurs itinéraires et la réalité des difficultés qu’ils vivent, les pouvoirs publics ont tendance à dissocier les réfugiés fuyant la guerre de ceux qui tiennent à échapper à la famine. Tout se passe comme s’il y avait dans la race humaine ceux qui ont besoin de survivre plus que d’autres ; comme s’il existait un niveau de bien-être ou de bonheur minimal auquel tout le monde n’a pas droit ; comme si des voix autorisées voudraient proclamer que tous les hommes n’ont pas été créés égaux ; qu’ils ne sont pas doués de droits inaliénables de vie, de liberté et de recherche du bonheur. C’est ignorer que la kalachnikov, comme l’insécurité alimentaire, tue. Selon la dernière lettre de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), la guerre en Syrie a fait plus de 230.000 morts, dont près de 11.500 enfants, depuis le début de la révolte contre le régime syrien, il y a plus de quatre ans. Les dernières nouvelles de la FAO ne sont pas non plus optimistes. Elles indiquent que, toutes les 6 secondes un enfant meurt de faim dans le monde. Ce qui représente plus de 5 millions d’enfants morts chaque année pour des raisons révoltantes. Qu’ils viennent sur des charrettes de paysans, à l’arrière de camions, à pied, par le train ou en barque pour traverser la Méditerranée, ces hommes, femmes et enfants qui s’invitent chez nous n’ont pas voulu leur situation. Une situation qui les dépassent et dont ils ignorent les enjeux. Une situation dictée par des considérations politiques et économiques planifiées par des instigateurs intérieurs et extérieurs de tous bords. Oui, ces hommes, femmes et enfants en errance ne sont pas responsables des causes qui les poussent sur la route d’exil (les écarts de richesse entre leurs pays et le Nord ; les fluctuations dérégulées du cours des matières premières ; les interventions militaires qui déstabilisent leurs régions jusqu’à ouvrir la voie à l’existence de l’état islamiste et ses terreurs, etc.). On ne peut les accueillir que par simple souci d’humanisme. A bas donc une générosité à géométrie variable. Tous des humains. Vulnérables, désespérés et anéantis, ils sont en quête d’une seule et même chose : la protection.

cikuru batumike